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Me Coline Bellefleur

Entrevue réalisée par Alice Boivinet, mai 2015

Me Coline Bellefleur exerce comme avocate au sein du cabinet TBPK s.e.n.c.r.l., à Montréal, depuis juillet 2013. Elle est le 100ème membre de Cheminement Équivalences et c’est pourquoi nous l’avons choisie pour lancer notre série de profils intitulée « Rencontre avec ».

1) Quel a été ton parcours avant d’arriver au Québec?

 

Avant d’arriver au Québec, j’ai suivi mes études en France. J’ai d’abord fait une licence en droit à l’Université Robert Schuman de Strasbourg dont j’ai réalisé la troisième année à Birmingham, en Angleterre, dans le cadre du programme Erasmus. À mon retour, j’ai obtenu un Master 1 en droit international et européen de l’université de Grenoble puis j’ai étudié à l’Institut des Hautes Études Européennes de Strasbourg pour un Master 2 Droits de l’homme, spécialisé en droit des minorités nationales.

 

Parallèlement, je me suis toujours beaucoup impliquée en faveur des migrants et en particulier de ceux n’ayant pas de statut sur le territoire. C’est dans ce domaine que j’ai effectué plusieurs stages ainsi que beaucoup de bénévolat. J’ai notamment été stagiaire au Centre d’assistance juridique pour les réfugiés et demandeurs d’asile pendant un an à Rabat, au Maroc, puis pour l’Association pour les droits civiques, à Tel Aviv.

 

 

2) Pourquoi avoir choisi d’immigrer au Québec?

 

Pour moi, l’immigration au Québec s’est inscrite dans un projet familial. Nous avons fait les démarches pour la résidence permanente depuis la France et nous l’avons obtenue en 2010.

 

3) Qu’est ce qui t’as poussé à te lancer dans les équivalences?

 

Je m’étais déjà largement renseignée depuis la France sur les démarches qu’il me faudrait entreprendre. Je souhaitais devenir avocate, donc le projet était très clair. J’ai fait ma demande auprès du Comité des Équivalences du Barreau depuis la France et j’ai reçu la décision avant même d’arriver au Québec. 

 

4) Peux-tu nous résumer ton parcours d’équivalences?

 

L’Université – En 2010, le Comité des Équivalences a rendu une décision m’imposant de suivre 60 crédits universitaires, soit 20 cours. Je ne voulais pas perdre de temps, j’ai donc suivi mes cours dans trois Universités différentes. J’ai suivi l’essentiel de mes cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), mais aussi deux cours à l’Université de Montréal et un cours à l’Université d’Ottawa.

 

J’ai réparti mes 60 crédits sur quatre sessions. Ayant déjà fait toutes les démarches avant, je suis arrivée au Québec à la fin du mois d’août et j’ai commencé les cours à peine quelques jours plus tard! Je crois avoir suivi 5 cours à l’automne 2010, puis 6 cours à l’hiver, 3 cours à l’été et enfin 6 cours à l’automne 2011.

 

J’ai très bien réussi à l’université, avec une moyenne autour de 4.0. Possédant déjà un parcours juridique, j’ai trouvé que les cours universitaires étaient plus faciles que ce que j’avais connu en France. Le fait que les examens soient essentiellement à livres ouverts est de plus moins stressant, cela nécessite d’avoir compris la matière mais n’implique pas de bachotage.

 

Je reconnais bien volontiers que le fait d’avoir étudié la common law lors de mon année passée en Angleterre m’a aussi certainement aidé.

 

4 ou 8 mois – Finissant mes cours à l’Université à la session d’automne, je suis allée au Barreau en janvier 2012 et je l’ai donc fait en quatre mois. Je ne me suis pas vraiment interrogée sur le fait de le faire en quatre ou en huit mois, mais j’avoue que j’avais hâte d’intégrer le marché du travail.

 

Barreau – Je garde un bon souvenir de mon passage par l’École du Barreau. J’ai eu la chance d’être dans une classe très stimulante et de bénéficier de bons enseignants. Le fonctionnement en vase clos conduit à un certain niveau de stress, mais je suis quelqu’un qui prend plutôt du recul et peu sensible à tout cela. On ne peut cependant nier qu’une certaine pression nait du fait que la réussite de l’examen du Barreau est un passage obligé pour accéder à l’Ordre.

 

Les quatre mois m’ont paru suffisants. Je n’ai pas ressenti le besoin d’avoir plus de cours. J’aurais certainement aimé avoir plus de temps entre la fin des cours et les examens finaux. Le rythme est intense de sorte que j’ai terminé la formation professionnelle plutôt fatiguée.

 

Je crois qu’il est important de conserver une vie sociale pendant le Barreau. J’ai personnellement travaillé à temps partiel pendant toute la durée de la formation professionnelle. Je donnais des cours de musique entre 12h et 15h par semaine. Cela m’a fait du bien, ça me permettait de vraiment changer d’air. Je recommanderais assurément de conserver parallèlement une activité qui n’est pas intellectuelle, du sport, de la musique… qui permettra de penser à autre chose.

 

Examens – Après un démarrage moyen, puisque je n’ai initialement pas validé le premier examen de déontologie, le reste de la formation s’est très bien passé. Au tirage au sort pour les examens finaux, les deux matières pour les questions à développement étaient droit criminel et droit des affaires. Je me souviens d’avoir trouvé que le temps était suffisant pour l’examen avec qcm, en revanche pour la seconde journée, l’examen était vraiment très long et j’ai fini juste à temps! Les questions ressemblaient vraiment aux types de questions que nous avions eu à préparer avec les annexes tout au long de la formation, mais par contre elles ne portaient pas spécifiquement sur des points que nous avions étudiés.

La formation professionnelle apprend vraiment bien à chercher les réponses dans la Loi. Je me suis sentie bien outillée.

 

Stage – Je n’ai pas commencé à chercher mon stage avant d’avoir reçu les résultats du Barreau et je souhaite rassurer les futurs étudiants à cet égard, car beaucoup d’offres de stage sont publiées dans les moments de la parution des résultats (la plupart des cabinets d’avocats connaissent les dates des sessions de l’école du Barreau). Je n’avais d’ailleurs pas participé à la Course aux stages parce que les grands bureaux ne traitent pas le type de dossiers qui m’intéressent et n’offrent pas la qualité de vie que je recherche.

 

Je cherchais quelque chose de très précis : je voulais notamment pratiquer en droit de l’immigration, incluant le droit des réfugiés ou à tout le moins l’immigration qui ne soit pas uniquement de type économique. J’ai trouvé en deux semaines un stage dans un petit cabinet de 3 avocats. J’ai commencé dès le mois de juin. Les dossiers étaient intéressants et ma rémunération de 400 $ par semaine était très correcte, cependant, je n’y suis restée qu’un mois. Cela ne me convenait pas, disons, pour rester discrète, que nous ne partagions pas la même vision du métier. J’ai donc donné ma démission et suis partie après une semaine de préavis.

 

Nous étions alors en juillet 2012, en plein été, la profusion d’annonces n’était plus là, j’ai eu quelques entrevues qui n’ont rien donné. Je cherchais toujours dans ce domaine que j’aime tant, de sorte que peu de postes m’intéressaient. J’ai finalement commencé mon second stage en janvier 2013 dans un cabinet de 4 avocats. Là aussi, je gagnais 400 $ par semaine. Cette fois, les choses se sont très bien passées tant au plan strictement professionnel qu’au plan des relations interpersonnelles. Des tâches variées m’ont été confiées. J’ai fait beaucoup de recherches bien sur, mais j’ai rapidement eu l’occasion d’aller à la Cour, de rencontrer des clients, etc. J’ai bénéficié d’un excellent environnement de travail, il n’y a jamais eu d’abus dans ce qui m’était demandé, j’ai été bien encadrée tout en conservant beaucoup de flexibilité.

 

5) Si tu le pouvais, que referais-tu différemment?

 

Rien de particulier, enfin… il est certain que j’aurais aimé me voir imposer moins de crédits universitaires par le Barreau. D’autant plus que je sais maintenant que de nombreux français avec un parcours similaire au mien suivent seulement 45 crédits, et que certaines matières qui m’ont été imposées se sont révélées vraiment peu pertinente pour le barreau et ma pratique ultérieure!

 

Je dis cela, mais je crois qu’il ne faut pas percevoir cette période comme une perte de temps, il faut tenter de la rentabiliser en s’immisçant dans la communauté juridique.

 

6) Quel a été ton parcours depuis l’obtention de ton titre professionnel?

 

Mon stage ne comportait pas d’offre d’emploi à la fin, toutefois, lors de l’entretien, on m’avait expliqué que c’était une éventualité, mais que le cabinet n’était pas certain d’avoir le budget ainsi que la masse de travail suffisante pour engager un nouvel avocat.

 

Progressivement, on m’a fait sentir que je pourrais rester. Vers la fin de mon stage, nous avons discuté des détails. J’ai tout négocié : mon salaire, tout en gardant à l’esprit les capacités financières du cabinet, les semaines de vacances ainsi que la prise en charge par le cabinet de divers frais reliés à la pratique professionnelle, comme la cotisation annuelle auprès de l’ordre.  

 

7) Que fais-tu aujourd’hui?

 

Je suis actuellement en congé maternité. Mais sinon, je travaille toujours dans le cabinet où j’ai fait mon stage. C’est un petit cabinet, donc nous avons des dossiers de petite à moyenne envergure, tant sur le plan de la complexité des dossiers que sur le plan des enjeux financiers. Nous travaillons beaucoup en équipe.

Comme je le souhaitais, je pratique en droit de l’immigration. Je fais aussi du litige civil et du droit de la famille. Je suis amenée à me rendre régulièrement à la Cour, environ une à deux fois par semaine, avec toutefois des périodes plus calmes.  

Je n’ai pas d’objectifs d’heures facturables. La structure a conservé la flexibilité dont j’ai bénéficié pendant mon stage. J’ai notamment la chance de pouvoir travailler à distance de temps à autre.

 

Parallèlement à mon activité au sein du cabinet, je suis toujours très active bénévolement, de l’ordre de 6h à 10h par semaine. Je donne régulièrement des conférences et ateliers juridiques qui s‘adressent au grand public, sur les droits et libertés de la personne. J’offre également des consultations juridiques Pro bono pour différents organismes et notamment au Centre des Femmes de Montréal. Enfin, je m’implique au sein de la section Québécoise de l’Association Canadienne des Avocats Musulmans (ACAM) dont je suis la présidente depuis avril 2014. Et plein d’autres projets à venir si tout se passe bien…!

 

8) Quelles sont les difficultés auxquelles tu te confrontes?

 

Je ne rencontre pas de difficultés particulières. Il faut dire que je suis d’une nature optimiste, je prends les choses comme elles viennent!

 

9) Quels sont tes projets?

 

Je souhaite continuer d’exercer dans mon cabinet actuel et renforcer mes activités juridiques Pro Bono. J’aimerais également continuer à développer mes connaissances et mon expertise en droit de l’immigration, et spécifiquement l’immigration humanitaire, le droit des réfugiés, etc.

 

10) Quels conseils donnerais-tu à nos membres?

 

Je donnerai essentiellement deux conseils. Le premier serait de commencer à se faire un réseau dès la période des équivalences, ce n’est pas au moment où l’on souhaite intégrer le marché du travail qu’il faut commencer. La meilleure façon est certainement de passer par du bénévolat ou un emploi dans le domaine juridique. Cela a aussi le mérite de se familiariser avec le milieu professionnel.

Le second serait de ne pas se sous-estimer. Ce n’est pas parce que l’on n’est pas passé par le Bac en droit que l’on n’est pas compétent. Il ne faut donc pas hésiter à valoriser ses connaissances et/ou son expérience acquises à l’étranger. Certains diront qu’il y a déjà trop d’avocats au Québec et que ceux qui viennent de l’étranger prennent la place d’avocats formés au Québec Je pense cependant que la société québécoise à tout à gagner à valoriser les avocats les plus compétents dans les faits, peu importe leur cheminement ou le pays dont ils sont originaires.

J’invite les membres de Cheminement Équivalences à ne pas accepter par dépit un stage qui ne leur convient pas. Trouver le bon stage, cela peut prendre du temps. J’en suis la preuve, mais il ne faut pas paniquer et ce, d’autant plus qu’un mauvais stage conduit à une mauvaise formation, ce qui peut ensuite rendre difficile la recherche d’emploi.

En ce qui concerne les stages non ou mal rémunérés, je dirais que dans certains cas, cela peut se justifier, dépendamment de la structure et de son domaine d’activité. Dans ce cas, l’apport particulier apporté par le stage au futur avocat compensera l’absence de rémunération. Mais dans la majorité des cas, cela ne se justifie pas et tout travail mérite un salaire décent.

 

Question piège : Quelle est ta perception de Cheminement Équivalences?

 

Cheminement Équivalences est un super réseau d’entraide avec de belles idées. L’association comble clairement un besoin pour venir éclairer les juristes étrangers, j’aurais certainement pu grandement en bénéficier moi-même si elle avait existé lorsque j’étais en processus d’équivalences…Il y a évidemment les autorités compétentes, mais cela apporte un éclairage concentré, plus informel et plus personnel.

Je crois que Cheminement Équivalences devrait, une fois qu’elle sera plus établie, discuter avec le Comité des Équivalences du Barreau pour cibler de façon plus pertinente tant le nombre de crédits imposés que la liste des cours.

 

Merci Coline d'avoir accepté de partager ton expérience avec nous, et en particulier d'avoir bien voulu être la première à le faire. Nous te souhaitons le meilleur pour l'avenir!

NDLR : Coline a quitté TPBK et est aujourd'hui avocate à son compte depuis l'automne 2018. Elle développe sa pratique en droit de l'immigration et en droit carcéral. 

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